LE PIANO DE BRÉGY
Aquarelle de GEORGES BRUYER
C'est une très
heureuse idée qu'a eue l'Etat quand il a acheté à l'exposition des
« Oeuvres des artistes mobilisés » salle du Jeu de Paume, la curieuse
aquarelle dont nous donnons ici la reproduction. Elle est signée du
nom de M. Georges Bruyer qui, en quelques touches rapides, a fixé la
fantastique vision d'un pauvre piano mécanique qui mériterait, s'il a
pu échapper à la tempête, de figurer, en bonne place, dans une des
galeries de nos souvenirs historiques. Voici d'ailleurs la très
véridique histoire du piano de Brégy. Nul texte ne pourrait mieux
commenter la peinture: ces lignes sont extraites d'une lettre écrite à
ses parents par le jeune et vaillant artiste qui, depuis onze mois,
fait bravement le coup de feu aux premières lignes. .A. D. ...
Depuis près de quatre jours nous entendions le canon,
nous avions reçu le baptême du feu. Et nous marchions... Au
crépuscule, nous marchions encore, les yeux fixes, les muscles brisés,
les dents serrées, résolus... Nous savions depuis quatre jours ce
qu'était la mort, mais nous savions aussi que nous étions en France et
que les autres, les ennemis, étaient là... « Il y a nous et les
autres,... nous et les autres,... nous et les autres,.. »
Tout en traversant la plaine, qui semblait infinie, je
ne cessais de mâcher cette phrase. Elle rythmait mes pas, les
soutenait et leur donnait chaque fois une nouvelle énergie. Le jour
tombait rapidement. Des villages flambaient à l'horizon. L'affreuse
odeur de la mort flottait autour de nous, montant des tas informes de
bêtes et d'hommes massacrés. Nous marchions toujours. Le canon s'était
tu. Mais voici que, du fond du silence, un son extraordinaire semble
sortir, un tout petit son de rien du tout, mais cependant perçant, un
son « moitié figue, moitié raisin ». Mais d'où vient-il ! De près ou
de loin ! Du fond de la terre, de l'horizon ou du ciel? Mystère...
Nous marchions toujours... et bientôt s'offrent à nos
regards des groupes faits d'ombres vagues qui s'agitent. Puis ce sont
des lignes de fusils, en faisceaux. Un bataillon de chasseurs est là,
au repos, et c'est de ses rangs que le son mystérieux semble sortir.
Il n'y a plus de doute possible, c'est un piano qui chante. Et que
chante-t-il : Une valse banale, une de ces valses de bals faubouriens,
chères aux âmes sentimentales des midinettes, qui, dans l'immensité
tragique de cette plaine où s'amassent les ténèbres, prend un
caractère inexprimable... Brusquement un déclenchement se produit dans
l'appareil musical qui n'est autre chose qu'un piano mécanique, et, à
la valse mélanco1ique, succède la plus folle des polkas, la plus
sautillante, une polka du « temps jadis ». Je ferme les yeux et je
crois voir tout un passé lointain qui s'agite et pirouette autour de
moi. Mais un mouvement brusque s'est produit dans les groupes. Des
rires fusent, les bras s'arrondissent, des couples se forment, et
voilà le plus joyeux des bals... Quant à moi, je m'esclaffe. C'est un
rire inextinguible, nerveux. Non! Cet air de dessous de plat dans
cette plaine de massacre! Ce bal fantastique dans ce crépuscule
ensanglanté par la mort et par l'incendie !
Pendant que, devant le geste souverain de Joffre,
l'immense horde des Barbares qui se ruait sur Paris se replie en ce
moment en désordre!... Non, vraiment, cela est trop drôle. Je me tords
en lui tapant les cuisses. Mais tout plaisir a une fin. Il faut
reboucler son sac, et... en route dans la nuit: « ... nous et les
autres... » Depuis ce jour, bien des régiments ont défilé devant ce
pauvre piano mécanique, abandonné comme une épave dans la plaine
sinistre et qui avait servi aussi sans doute à faire danser les Boches
lorsque, avant le « halte-là! » de Joffre, ils se croyaient à la
veille d'entrer dans Paris.
Voilà l'histoire du piano de Brégy que je tâcherai de
fixer en quelques coups de pinceau... quand j'en aurai le temps.
Là-dessus, mes chers parents, je vous embrasse bien vite. La nuit
tombe. Voici l'heure d’aller poser les fils de fer...
11 Septembre 1914, quelque part dans la Marne…
Extraits de L’illustration.
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L'Editorial
Voici un message
« personnel » que j’ai reçu de mon ami Jacques Jurin, animateur de la
bourse de Noisseville et grand collectionneur devant l’Eternel. Il
s’adresse aux « nés avant » le 3ème millénaire ; les autres ne
pouvant pas comprendre… Comme il est bon de rappeler cette enfance-là,
l'enfance des années 30, 40, 50, j’ai pensé que cela remplacerait
avantageusement mon éditorial ; car en regardant en arrière, c’est à
se demander comment on a réussi à survivre si longtemps...
« Lorsque nous étions
enfants, nous nous promenions en voiture sans ceinture de sécurité ni
airbag pour nous protéger. Eh oui! Nos chambres étaient peintes de
couleurs vibrantes, au plomb et nos maisons étaient isolées à
l'amiante.
Il n'y avait pas de
capsules de sécurité sur les bouteilles de médicaments ni sur celles
des produits toxiques, ni de serrures sécuritaires sur les armoires.
Et lorsque nous partions faire un tour à vélo, on le faisait sans
casque ! On allait seul en ville chercher le pain, le lait dans un
broc en aluminium à peine fermé.
On buvait même de l'eau
directement des tuyaux d'arrosage. Quelle horreur !
On se faisait des
petites voitures avec des vieux patins à roulettes et des planches en
bois pleines d'échardes. On se laissait aller dans les descentes, sur
le trottoir bordant la rue, pour s'apercevoir trop tard qu'on avait
oublié de mettre des freins. Après être rentrés dans les buissons, les
clôtures ou les façades à quelques reprises, on faisait autre chose.
On quittait seul la maison tôt le matin pour aller à pied à l'école et
on revenait souvent au moment où les lampadaires de la rue
s'allumaient. Imaginez donc, pas de téléphones portables, personne ne
pouvait nous joindre de la journée. On mangeait des gâteaux secs, du
pain et du beurre et nous n'étions pas obèses.... il faut dire que
nous jouions presque toujours à l'extérieur.
On buvait souvent à
quatre ou cinq dans la même bouteille et il n'y a jamais eu de décès à
cause de ça. On jouait à des jeux dangereux et souvent, on se faisait
mal. On grimpait dans les arbres, on enjambait les murs des voisins,
les grilles des squares. Parfois, il y avait des chutes, avec des
coupures et des os cassés, mais personne n'était blâmé. C'était
l'apprentissage de la vie.
Parfois aussi, on se
battait entre nous, on avait des bleus, mais on apprenait à passer
par-dessus. On n'avait pas de Nintendo 64, de Playstation 2 ou de X
Box, sans compter les jeux vidéo ou même les 99 canaux de la
télévision, les baladeurs, les ordinateurs personnels, etc… Mais nous
avions des amis et si nous voulions les voir, tout ce qu'on avait à
faire, c'était de sortir et se rendre chez eux, sonner et entrer pour
pouvoir leur parler. Imaginez ça ! Sans même demander la permission à
nos parents ni se souvenir du numéro de code de la porte d'entrée !
Comment faisait-on tout
ça, sans gardiens, dans ce monde cruel ? On inventait des jeux, avec
des bâtons et des balles de tennis, on mangeait toutes sortes de
choses, mais contrairement à ce qu'on nous disait, on perdait rarement
un oeil et on n'était pas infecté par un méchant virus.
Certains écoliers
n'étaient pas aussi futés que les autres. Parfois, ils manquaient leur
année et devaient redoubler. Les classes et les examens n'étaient pas
encore ajustés pour compenser les différences, quelles qu'en soient
les raisons. Nos actions étaient les nôtres. Nous en supportions
personnellement les conséquences. Personne pour nous cacher. L'idée de
se faire protéger par nos parents si nous commettions une infraction
était impensable. D'ailleurs, nos parents étaient du côté de
l'autorité, c'est-t'y pas effrayant ?...
Cette génération a
produit les meilleurs preneurs de risque, "solutionneurs" et
inventeurs. Les 50 dernières années ont été une explosion
d'innovations et d'idées nouvelles. On avait la liberté, la
responsabilité de nos succès… et de nos échecs.
Le plus important,
c'est qu'on a appris à vivre avec tout ça.
Félicitations, car vous
êtes de ceux-là. »